Les CVBC et le CETAT
(fiction juridico-oligarchique)
La fable qui va suivre pourrait sembler être une histoire vraie. Elle pourrait se dérouler en France ou, ce qui est exactement la même chose, en Europe. En d’autres temps, nous aurions choisi pour théâtre le royaume d’UBU, mais la place était déjà prise. Nous avons donc préféré pour la narrer conserver le théâtre du Gaulistan*, pays du continent Zoropéen, par pur patriotisme.
Cependant il ne s’agit que d’une fable et toute ressemblance avec des personnes, des institutions ou des événements existants ou ayant existé serait pur hasard, ou simple coïncidence.
Dans cette fable, une haute juridiction administrative gaulistanaise, le Consistoire Éminent de Toutes les Administrations du Territoire (en abrégé le CETAT – prononcer : le « se tâte ») joue le mauvais rôle. Cette noble institution est vivement sollicitée par un groupe de doux agités affublé du nom de CVBC** (Concitoyens Voulant Bousculer la Constitution) mais elle rejette ses avances avec une belle détermination. D’étapes en étapes, toutes pittoresques et que nous allons narrer, elle parvient enfin à commettre sa décision finale, sublime. Nul ne pourra cependant en vouloir au CETAT car cette fière institution n’y est pour rien, alors ne l’accablons pas. Le coupable est ailleurs : ce sera à vous, cher lecteur, de le découvrir.
* Le Gaulistan, pays des fromages et du vin en pot, fut exploré et décrit pour la première fois par Marie Acastillone dans son passionnant récit de politique fiction « Bienvenue au Gaulistan », disponible sur notre site. La devise du Gaulistan, gage de sa prospérité, est « Veau, Vache, Cochon, Couvée », en Français dans le texte tout comme celle du Royaume-Uni.
** Ne cherchez pas, vous ne trouverez pas le CVBC sur Wikipuloi, sa page a été détruite à juste titre à la veille des élections zorostaniennes, ce groupe prétendait en effet y participer : on ne plaisante pas avec la liberté d’expression ni le droit de vote, mais il y a tout de même des limites !
Pour éclairer s’il en était besoin le lecteur, rappelons que le Conseil d’État – le CE – (qui n’a aucun lien avec la fable qui suit), ne vote pas les lois mais les juge tout de même un peu ; il n’est sans doute que rarement sollicité à bon escient par les citoyens mais il l’est toujours par les gouvernants et par les élus, qu’il connaît bien : il en émane. Il fourmille de domaines de compétences : il est le conseiller du gouvernement et du parlement mais il doit aussi juger des actes des administrations commis contre les citoyens, cruel dilemme dira-t-on ; ses 300 juges ne sont donc pas de trop, avec un maître des requêtes sur quatre et un conseiller sur trois nommés par le gouvernement (faible pourcentage, nous dira-t-on), et avec ses « auditeurs » pour beaucoup issus de l’ENA (École Nationale d’Administration), gage de clairvoyance (au contraire de son anagramme). Le CE est présidé par son vice-président (c’est ainsi !) nommé par décret du Président de la République, et non par son président, le(a) Premier(e) ministre ou le(a) ministre de la Justice, ès qualités, qui serait alors trop visiblement juge et partie. Le CE peut examiner la conformité à la loi d’un décret qu’il a lui-même pris (!) mais la collégialité de ses procédures n’ayant d’égale que la rigueur de sa déontologie il offre aux citoyens une garantie totale d’indépendance (sic) ; en effet, un pourcentage significatif de ses dix mille décisions annuelles, est-il dit (mais ce chiffre reste à découvrir), reste favorable aux citoyens.
Les grincheux feront cependant remarquer qu’il y a peu d’années, un président sortant n’a pas dérogé à la pratique instaurée par ses prédécesseurs et qui restera suivie : il a nommé au CE entre les deux tours de l’élection deux anciens membres de son cabinet. Aucun des deux ne possédait semble-t-il ne serait-ce qu’un simple diplôme de droit ; gageons que cette lacune fut promptement comblée. Nos voisins s’étonnent parfois de cette exception française, mais seules les mauvaises langues s’interrogent : s’il fallait prouver la réalité de l’indépendance des juges de cette haute juridiction administrative, cette preuve résiderait, nous disait déjà en 2007 un Conseiller d’État honoraire, « dans l’extension continue du contrôle juridictionnel exercé sur toutes les décisions administratives et dans l’approfondissement de celui-ci. Plusieurs illustrations peuvent en être données : le droit des étrangers, celui de la responsabilité administrative, pour faute et sans faute, l’affirmation et l’application de principes généraux du droit ou le contrôle du pouvoir discrétionnaire de l’administration ». Nous voici donc rassurés ; alors à notre tour, nous citoyens souverains, nous en jugerons. Fallut-il une fable.
Notez que nous ne commentons pas ici des décisions de justice, ce serait illégal. En effet, l’article 434-25 du code pénal punit de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende « le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle » si le discrédit était « de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance ». Telle n’est pas l’intention du fabuliste ; bien au contraire il met en valeur le fragile équilibre entre glaive et balance. Son texte ne fait que préciser un contexte pour permettre aux historiens, dans quelques centaines d’années, de mieux comprendre le déroulé de faits romanesques qui, par pur hasard, pourraient avoir ici ou là quelques lointains rapports avec une page de notre histoire.
L’histoire contée par les CVBC se déroule à l’aube de l’année 2044, alors que le Gaulistan s’apprête à vivre deux périodes électorales dans un contexte politique que nous pourrions qualifier de mitigé.
Une drôle de loi sur la reconnaissance du vote blanchi.
Le vote blanchi était un droit qu’un empereur gaulistanais avait institué plus de deux siècles plus tôt, afin de permettre aux aveugles et aux illettrés d’accomplir leur devoir de citoyen sans risque d’erreur, en déposant un bulletin de papier blanchi dans l’urne. Il était fier de la générosité de ce geste démocrate, qui ne nuisait à personne. Cependant, par précaution et pour éviter les foudres de son oligarchie soucieuse de préserver ses fromages nationaux, qui faisaient la réputation du pays, il avait exigé que ce vote ne puisse être compté comme suffrage exprimé. Sage précaution, en cette période ou l’illettrisme et l’aveuglement restaient les plaies de l’Empire, car il eut été fâcheux que les élus se voient éliminés par des votes blanchis plus nombreux que les leurs ! Mais cette époque était maintenant révolue : tous les citoyens (ou presque) avaient appris à lire les « beauniments » (nom donné aux professions de foi des oligarques gaulistanais, en référence à la Place Beau Veau où siégeait le Ministre de la Liberté Surveillée). Ils avaient aussi ouvert les yeux grâce à l’éveil à la conscience politique que les business partis gaulistanais avaient su promouvoir. Il fallait donc agir.
Ainsi, dès 2042, après 210 ans d’intense réflexion, le Parlement gaulistanais s’empara vaillamment d’une proposition de loi du business parti d’extrême centre, loi prévoyant enfin la reconnaissance du vote blanchi aux élections. Dans la version originale, le vote blanchi devait en effet faire partie, enfin, des suffrages exprimés. Cependant certains oligarques dodelinaient encore, arguant que cela posait un certain nombre de difficultés, comme par exemple lors de l’élection du Président-Roi : qu’adviendrait-il si aucun des deux derniers concurrents n’obtenait la majorité absolue ! La réponse était bien entendu très simple : ces concurrents seraient éliminés car refusés par les électeurs et il suffirait de recommencer avec des candidats plus sérieux. Cet argument dilatoire fut donc pour l’heure repoussé : les députés d’extrême centre firent de plus valoir que nulle restriction d’un droit (fusse-t-il ou non fondamental) ne peut être constitutionnelle sans qu’elle fusse à la fois parfaitement justifié et absolument nécessaire. Ce n’était pas le cas ici. Le débat puis le vote eurent donc lieu, et le résultat devait être annoncé au peuple souverain du Gaulistan le 21 février 2044. Les Gaulistanais retenaient leur souffle.
Pourtant, ce 12 février 2044, subrepticement, le Parlement remettait à l’AFP (Agence Fournissant la Presse gaulistanaise), par la voix de son rapporteur, M François Zoro, un communiqué titré : “Élections. Le vote blanchi adopté définitivement par le Parlement gaulistanais” et qui précisait “qu’à partir du 1er avril, … chaque électeur pourra voter blanchi…”. Le rapporteur clamait avec une fierté mesurée que nous assistions là à “une avancée dans la transparence de la vie démocratique qui répond aux attentes de nombreux Gaulistanais“. À cette nouvelle, le peuple du Gaulistan hurla sa joie ; toutes formations politiques confondues, on leva son verre dans les deux assemblées à ce formidable progrès de l’esprit humain dont, ailleurs, Condorcet rêvait déjà. On se congratula sur les bancs des hémicycles non sans avoir noté, certes un peu tard, que “l’absence de reconnaissance de la voix de l’électeur qui se déplace pour accomplir son devoir civique était choquante en démocratie”, et que “le vote blanchi devait être vu comme une attente non satisfaite qui pouvait traduire une forme d’espérance.” C’était beau, et nous les CVBC qui avions lutté si longtemps pour que cette espérance devienne une réalité, nous retenions difficilement nos larmes. Cependant, quelque chose nous semblait clocher quelque part mais nous ressaisîmes vite : peut-être avions nous été interpellés, à tort, par cette date du 1er avril… Refrénant notre paranoïa attisée par une longue expérience des turpitudes des business partis d’antan, nous nous consolâmes : la loi en question devait être publiée quelques jours plus tard. L’espérance était à nos portes !
Le 21 février 2044, le ciel nous tomba sur la tête ; nos craintes ancestrales étaient donc fondées. En ce jour fatal, à marquer d’une pierre noire, la loi pourtant dite “visant à reconnaître le vote blanchi” fut publiée au JO de la République gaulistanaise. Elle était formelle : les bulletins blanchis “n’entrent pas en compte pour la détermination des suffrages exprimés” ! Le coup fut dur, d’autant plus que les libations des citoyens réjouis par la nouvelle tombant du ciel (du Parlement) neuf jours plus tôt n’étaient pas achevées et que les citoyens souverains, faisant confiance à leur journal et n’étant pas tous abonnés au JO fourbissaient déjà leurs armes pour les prochaines élections : municipales des 23 et 30 mars puis zoropéennes du 25 mai. On va voir ce qu’on va voir, à nous les mairies, et à nous la Zorope. Il restait aux CVBC trois mois pour réagir : la décision fut prise, nous allions présenter des listes aux zoropéennes. Stéf s’y attela sur le champ, et nous décidâmes d’engager un recours contre cette loi scélérate auprès du CETAT, seule juridiction gaulistanaise compétente pour la recevoir, c’est Paquito qui s’y collerait.
La requête fut donc transmise le 9 mai 2044 par les CVBC (Sud-Ouest) contre la loi du 21 février 2044 et l’article 666 665 du Code électoral gaulistanais qu’elle modifiait, loi qui nous paraissait manifestement inconstitutionnelle et mensongère dans son intitulé portant sur (ou plutôt contre) le vote blanchi. Ces textes, qui rejetaient et censuraient le vote blanchi comme suffrage exprimé, contrevenaient manifestement à l’article 52 de la charte des droits fondamentaux de l’Union Zoropéenne, qui interdisait aux États membres toute restriction injustifiée des droits. Pourtant, la proposition de loi initiale prévoyait bien la possibilité de refuser une offre politique inacceptable grâce au vote blanchi reconnu, mais ce fut une ultime manœuvre des élus, législateurs de leurs propres règles, qui leur permit ensuite de rouler plus facilement les citoyens dans leur blanche farine.
Le 30 mai 2044, le CETAT rejeta pourtant notre requête “comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître” ! Nous notâmes, maigre consolation, que le CETAT, habituellement mesuré, ne mis que 21 jours pour découvrir son incompétence, c’était bien. Ceci dit, il fallait qu’il la prononce pour qu’il soit possible d’engager l’étape suivante, et nous remerciâmes le CETAT pour ce travail. Nous notâmes que le CETAT avait requis par le même courrier auprès du ministère de la Liberté Surveillée de faire exécuter cette décision d’incompétence, c’est-à-dire dans ce cas de ne rien faire, ce que le ministère exécutât sur le champ ! Il ne restait donc plus aux citoyens qu’à se tourner vers le Grand Conseil Constitutionnel Gaulistanais pour faire valoir leurs droits.
Le 6 juin 2044, les CVBC (SO) demandèrent donc au CETAT, passage à nouveau obligé selon la loi gaulistanaises, de saisir le Grand Conseil pour “question prioritaire de constitutionnalité” contre la loi que nous nommions maintenant loi anti vote blanchi.
Le 26 juin 2044 la décision du CETAT tomba, fatale : il ordonna (ce fut le terme) qu’”il n’y avait pas lieu de renvoyer au Grand Conseil Constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité“. En résumé le CETAT s’ordonnait à lui même, ce jour là, de ne rien faire, ce qu’il fit promptement, tout en demandant toujours au ministère de la Liberté Surveillée de faire exécuter cet ordre d’inaction, ce qu’il fit aussi avec la même diligence.
Chacun nota cependant que, cette fois, il ne fallut au CETA que 20 jours au lieu de 21 pour décider de ne rien faire : la productivité des juges administratifs gaulistanais s’était donc améliorée de 1/20e d’un mois sur l’autre et nous fûmes fiers d’eux ; il était heureux que chacun donna sa part en ces temps difficiles.
L’affaire du recours contre la loi anti vote blanchi était donc (momentanément) close. Mais un autre combat se préparait.
Pendant que le CETAT s’évertuait à décider qu’il ne pouvait rien faire, les citoyens du CVBC, comme ceux des business partis, battaient la campagne.
Le 25 mai 2044 les élections zoropéennes eurent enfin lieu. La plupart des grands médias gaulistanais refusèrent de donner la parole aux CVBC hors de la campagne officielle, car il convenait de ne pas fâcher les Grands Phinanceurs. Cet ostracisme était contraire à la loi mais le Conseil Supérieur de l’Audiovision Gaulistanaise Émancipée (le CSAGE) ferma les yeux, sans doute par discrétion. Malgré une campagne populiste qui découragea les uns et draina les autres vers les extrêmes, les CVBC obtinrent un succès d’estime en étant parmi les premières des listes sans parti, mais avec de vraies convictions et des objectifs sérieux, eux.
Nous constatâmes cependant avec effroi, dans les jours qui précédèrent ces élections et lors des opérations dans les bureaux de vote, tout comme bien d’autres “petites” formations, que ce scrutin était curieusement organisé : des camions de bulletins s’égarèrent sur les routes gaulistanaises, des bureaux de vote semblèrent démunis ; nous tentâmes de sauver les meubles ainsi que nos bulletins égarés ou refusés, ou encore collés sur les tables des bureaux de vote. Mais que faire pour contrôler, dans les 36 680 communes du Gaulistan et encore dans bien plus de bureaux, la bonne exécution de nos demandes de mise en place et de présentation de nos bulletins ! Mortifiés, commençant à douter que nous étions bien en démocratie, mais restant confiants en la justice administrative, nous décidâmes alors de porter un recours contre ces élections aux allures bizarres devant le CETAT, à nouveau seule juridiction compétente. Fort de l’expérience précédente et sachant qu’il ne faut jamais laisser un cheval, fut-il déjà vieux, face à un échec, nous décidâmes que ce serait encore Paquito qui s’y collerait, pour sa circonscription Sud-Ouest des CVBC…
Le 28 mai 2044, date légale limite pour l’État gaulistanais, les résultats des zoropéennes étaien dits “publiés”. Ce terme est mis ici entre guillemets car, en réalité, les mairies et le site du ministère ne les afficheront que le 30 mai en fin de matinée, car le jeudi 29 était un jour férié (et il ne s’agissait pas de la fête de la démocratie). Mais pour les CVBC, les délais couraient déjà et il ne restait que 9 jours pour transmettre notre requête au CETAT. Tout alla alors très vite (au sens administratif gaulistanais, il s’entend).
Le 2 juin 2044 (ouf) le recours des CVBC Sud-Ouest était transmis au CETAT : nous demandions l’annulation des élections en raison des graves dysfonctionnements constatés.
Le 25 août 2044, le Ministère de la Liberté Surveillée découvrit qu’il eétait démasqué et se défendit comme un beau diable. Le CETAT fit suivre cette défense au CVBC. La chargée d’affaire de la sous-direction du conseil juridique et du contentieux de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du secrétariat général du ministère (que le dernier ferme la porte) alignea ses arguments, certes un peu à côté de la plaque et alambiqués, mais il ne faut quand même pas se laisser faire, scrogneugneu. Nous répliquâmes. Par charité, nous ne citerons ici que deux de ces arguments.
Sur les irrégularités lors de la livraison des bulletins, le ministère nous dît qu’elles “ne sont pas de nature à vicier les résultats des élections, les retards dans la distribution des plis électoraux présentant un caractère purement accidentel et qui ont affecté l’ensemble des listes“! Dommage pour le ministère, mais ce n’est pas des plis contenant les beauniments dont il s’agissait, mais bien de la distribution des bulletins de vote des CVBC dans les bureaux. Nous compatîmes cependant, car (c’est le ministère qui le dît, c’était donc vrai), il y eut beaucoup d’accidents ce jour là ! Nous demandâmes au Ministre de présenter toutes nos condoléances aux familles des victimes.
Sur la communication tordue de la loi anti-vote blanc par le Parlement, le ministère s’insurgea : “On ne peut donc raisonnablement considérer que la communication faite sur le vote blanchi était de nature à tromper les électeurs“. Nous fûmes attendris par cet appel à la “raison”, et cette précaution de langage nous rassura sur la capacité de l’administration gaulistanaise à s’y référer. Mais il nous fallait répondre, sans délai.
Curieusement, à la même date et avec des arguments similaires, Mme Virgine de la Roze, candidate nouvellement élue du business parti uni des Partageux se défendit de même, par la voix de son avocat, en l’occurrence inutile. De plus il nous était demandé, outre l’abandon de notre recours, une rançon de 400 zoros : c’était mesquin !
Le 4 septembre 2044 les CVBC (SO) répliquèrent donc à la défense du ministère et à celle de Virgine. Nous décidâmes de rendre publiques nos réponses à ces défenses : la justice administrative gaulistanaise est une fille publique de la démocratie, elle n’a donc rien à cacher.
Le 15 septembre 2044, le CETAT fit connaître aux parties son intention de tenir séance publique le le 25 du mois, dès potron-minet, afin que le rapporteur public expose à son tour les arguments propres à rétablir l’honneur des hautes et basses administrations gaulistanaises, pour lui honteusement attaquées.
Mais le 19 septembre, nouveau coup de théâtre : nous recevîmes du CETAT une défense inattendue : celle de Micheline-Marie Donibane, candidate élue de l’autre versant de l’hémicycle ! Un avocat plus prolixe à sa solde étala son savoir en matière de jurisprudence, mais son argumentaire était tout aussi dilatoire et étranger à l’objet du recours que les précédents. Cependant la rançon requise s’élèvait ici à 2 400 zoros ; c’est plus sérieux : avec le business parti des Libéreux, nous sommes bien dans un autre monde. Cette défense, cependant, pouvait remettre en question la date du jugement dernier.
Le 22 septembre, notre réponse à la défense de Micheline fut prestement transmise au CETAT, réponse qui démonta encore, une à une, les arguties de son inutile baveux.
C’est alors que le CETAT, à son tour, nous gratifia d’une nouvelle surprise : il annula la séance prévue le 25 septembre pour la repousser au 8 octobre, cette fois-ci après la sieste, pratique courante dans les administrations gaulistanaises. Les CVBC réagirent aussitôt : ils seraient présents, et c’est Domi qui recueillit et bu les paroles éclairées du rapporteur public. Nous ne fûmes pas surpris outre mesure de constater qu’elles accablaient les CVBC, ces pelés, ces galeux, d’où venait tout le mal.
Alors, exploitant les ultimes possibilités que notre justice gaulistanaise offrait aux plus faibles, nous répondîmes dès le 10 octobre à ces attaques par un mémoire en réplique bien senti, avec tout de même le sentiment que les victimes étaient dans le camp de l’administration qui avait, selon le rapporteur, tout mis en œuvre pour offrir aux citoyens candidats, faute d’être récompensés de leurs efforts en faveur d’une démocratie vacillante, le droit de coller légalement quelques affiches. Alors, pourquoi chercher la petite bête pour à peine quelques centaines de milliers de bulletins « accidentellement égarés », ou pour quelques minutes d’antenne refusées mais qui n’auraient rien ajouté, ou pour une simple loi mal nommée. Cette loi, grâce aux enveloppes vides qu’elle autorisait maintenant sans les considérer, permet aux électeurs gaulistanais les plus tatillons de se défouler un peu tout en laissant leurs « représentants » goûter sans risque aux fromages du Gaulistan.
Quelques jours plus tard, le 15 octobre, curieusement à la date anniversaire de Paquito, tomba le verdict. Il ne surpris pas les CVBC, car ils savaient que, quel qu’il fut, il honorerait notre République gaulistanaise. Les élus zoropéens furent sauvés, mais les plaideuses des Partageux et des Libéreux furent également déboutées. Les autres élus, tous de sexe mâle, Joseph Bovidé, Loïs Lagrenade, Bob Fortepierre et le sous-fifre de Lucas Cheminlong firent preuve de prudence : ils laissèrent avec courage ces dames aller seules au combat afin de mettre à l’abri les précieux fromages. Ils espéraient sans doute qu’un jour ils pourraient à leur tour nommer au CETAT quelques juges qui veilleraient à la sauvegarde cette ressource stratégique de la Nation.
Les citoyens souverains du Gaulistan ne méritaient pas cette triste perspective d’une République à la Constitution obsolète, d’une République où, selon l’aveu même de l’un de ses juges aux allures de Cyrano, « le droit se mourait ». Il restait aux CVBC à décider s’ils poursuivraient, avec qui et sous quelle forme, cette lutte pour une démocratie respectueuse des droits et représentative, enfin débarrassée des oligarques qui ne les représentaient plus. Mais ça, c’est une autre histoire.