L’acte électoral est devenu en France comme dans l’ensemble des démocraties occidentales une pratique ordinaire. On a tendance à le banaliser et ne plus y prêter attention tant il parait acquis et évident. Or, l’acte de vote n’a rien d’anodin. A travers lui, le citoyen a le sentiment de participer à la vie de la cité. Il émet une opinion qui sera évidemment prise en compte. Lorsqu’une dictature accède enfin à la liberté, la première mesure de ce progrès est la tenue d’élections non truquées qui permettent à tous de s’exprimer librement. Le vote devient alors le symbole d’une démocratie vivante et respectueuse de chacun. 

Mais au-delà de la symbolique, le vote est considéré comme un acte d’appartenance à la Nation. C’est un des rares rites d’intégration à la société laïque qui réponde au besoin d’identification à la collectivité. En effet, si depuis 1875 le vote est organisé le même jour, un dimanche, sur l’ensemble du territoire, ce n’est pas seulement pour des raisons pratiques. Faire voter tous les français le même jour, un jour chômé, c’est leur faire prendre conscience qu’en accomplissant le même geste le même jour, ils font partie de la même communauté. Le jour de l’élection, le cérémonial du bureau de vote et son ambiance de kermesse créent le théâtre d’une volonté populaire qui s’exprime. L’imagerie révolutionnaire du peuple qui détient une part du pouvoir est toujours présente dans notre inconscient collectif. L’espace d’une journée, elle alimente le sentiment que l’ordre hiérarchique peut être renversé. C’est l’héritage de notre culture où le vote est l’acte unique et hautement symbolique de légitimation de la République. Il témoigne de l’engagement de chaque électeur et atteste de la légitimité populaire de nos élus. La loi doit donc garantir à tout électeur se rendant aux urnes d’exprimer librement son opinion. Une formule résume cette exigence : 1 vote = 1 voix. 

Malheureusement, la promesse d’une démocratie respectueuse de l’opinion de tous n’est pas au rendez-vous. Depuis 40 ans, dans une forme d’alternance qui ne laisse aucune alternative aux électeurs, la droite et la gauche se sont partagés l’exercice du pouvoir ; les premiers n’étant élus que pour éliminer les second, et inversement. Depuis 40 ans, les mêmes candidats issus des mêmes formations politiques débitent les mêmes discours rédigés par les mêmes communicants. Depuis 40 ans, les mêmes promesses laissent finalement place à la même désillusion. Il découle de cette situation un sentiment de colère contre des élites accusées de pratiquer une forme d’auto-protection et d’entretenir un système dont les citoyens sont volontairement tenus à l’écart. La crise de confiance atteint des sommets. 88 % des Français estiment que les responsables politiques ne se préoccupent pas de ce qu’ils pensent et 67 % d’entre eux considèrent que la démocratie française ne fonctionne pas très bien. Ils ne sont que 12% à faire confiance aux partis politiques. 

Le constat est en tous points alarmant. Les citoyens ne se sentent pas suffisamment entendus. Les décisions leurs semblent prises derrière des portes dérobées par un personnel politique qu’ils jugent à 76 % plutôt corrompus. Ces chiffres traduisent une défiance sans précédent envers le pouvoir politique et conduisent à des taux d’abstentions records qui se répètent, scrutins après scrutins. 

La question de l’abstention trouve tout son sens à l’approche de nouvelles élections alors que le phénomène abstentionniste se confirme comme le premier parti de France. Mais plutôt que de s’en émouvoir, il convient de comprendre le sens de cette abstention à la fois massive et systémique. Que dit-elle ? A quoi sert-elle ? A qui sert-elle ?! 

Certes difficile à interpréter tant elle recouvre une diversité d’intentions (désintérêt, manque d’information, geste volontaire, empêchement…), il n’en demeure pas moins que résumer l’abstentionniste à ce pêcheur désintéressé par la chose politique constituerait un véritable déni de réalité. Désaveu, ras-le-bol, opposition à une classe politique corrompue, incapacité à choisir, volonté de changement, refus de participer pour ne pas cautionner…tels sont les arguments le plus souvent avancés par ceux qui pratiquent ce qu’il convient d’appeler désormais une ‘’abstention civique’’. Pour autant, si les arguments paraissent légitimes, résister en se taisant fait davantage penser à un enfant qui croit impressionner ses parents en retenant sa respiration plutôt qu’un citoyen responsable qui exprime un avis. D’autant plus qu’en s’abstenant d’exprimer son opinion clairement, l’électeur offre une voie de secours inespérée au politicien qui pourra échapper à sa propre responsabilité. Car la plus grave erreur de l’abstention revient à attendre des hommes politiques qu’ils s’infligent à eux-mêmes les sanctions que nous serions en droit d’attendre face à l’évidente fragilité de leur victoire électorale. Pourquoi écouteraient-ils le message de la non-participation pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une remise en cause, alors qu’il leur est si facile de considérer l’abstentionniste comme un ”mauvais citoyen” qui n’est pas venu voter ? 

En annonçant le chiffre de l’abstention le soir des résultats, commentateurs et politiciens font croire à l’abstentionniste que sa voix aura été entendue. Ils le flattent le temps d’une annonce en direct et en prime-time, ils le bercent dans l’illusion que son silence a été compris et aura nécessairement des conséquences. Il n’en est rien. Si les médias et les responsables politiques commentent aussi abondamment l’abstention, c’est qu’ils savent pertinemment qu’elle ne représente aucun danger pour l’élection d’un candidat, quel qu’il soit. Car l’abstention n’est qu’un leurre, une impasse citoyenne ayant pour utilité politique de canaliser les votes protestataires en les rendant inoffensifs. Il suffirait même qu’un seul bulletin soit glissé dans l’urne pour qu’il représente à lui seul 100% des voix. Telle est l’absurdité de notre système électoral. 

L’abstention fait donc partie intégrante de cette mécanique bien rodée dans laquelle l’électeur absent joue, à son insu, son rôle plein et entier. Un silence complice et stérile qui ne produit rien et ne sert à rien d’autre que de permettre à des militants convaincus d’élire plus facilement le champion de leur choix. Car en ne participant pas au vote, les abstentionnistes participent malgré eux au maintient de ce système qu’ils voulaient pourtant dénoncer. C’est la grande ironie de l’abstention. Ses effets sont contraires à ses intentions. Comme le rappelle Philippe Pascot dans son livre Pilleurs d’Etat, l’abstention est une aubaine pour les élus car moins il y a de monde, plus c’est facile d’être élu, voire réélu. Dès lors, loin d’être un travers démocratique, l’abstention est une chance pour ceux qui sont élus avec une légitimité de plus en plus discutable. Même majoritaire, elle apparait aux yeux du pouvoir politique comme un moindre mal, sans conséquence pour sa survie électorale. Ce n’est donc pas un hasard si, au-delà des commentaires attristés de circonstance, rien n’est réellement fait pour inciter les électeurs à retrouver le chemin des isoloirs. 

La véritable question que pose l’abstention civique porte sur la possibilité de s’opposer démocratiquement et pacifiquement aux choix qui sont proposés aux électeurs. Entre une classe politique qui s’intéresse davantage aux moyens de son élection et des citoyens qui revendiquent une liberté de pensée et d’expression, ceux-ci ont-ils réellement les moyens de manifester une opinion qui ne vienne pas uniquement cautionner des propositions jugées inadaptées ? Quelle peut être la valeur d’une démocratie où les citoyens ne votent plus pour leurs représentants mais utilisent leur droit de vote uniquement pour sanctionner les élus en place ? Ne serait-il pas plus sain de leur permettre d’exprimer leur choix par adhésion en leur offrant la possibilité, s’ils le jugent utile, de refuser ces choix ? Cette option indispensable et volontairement oubliée de notre système électoral existe : le vote blanc. 

Le vote blanc apporte un regard nouveau sur nos pratiques. Contrairement à l’abstention, son message est clair et sans ambiguïté : ‘’Aucun des choix proposés ne me convient’’. En d’autres termes, ‘’je veux participer, je veux voter, mais je refuse de cautionner l’un ou l’autre des candidats en présence’’. Ce mode d’expression vient directement bouleverser les pratiques habituelles selon lesquelles l’électeur se résigne souvent à voter pour ‘’le moins pire’’ des candidats. Il induit en outre une dimension totalement révolutionnaire en portant la potentialité qu’aucun candidat ne soit élu dès lors que 50% des votants auraient voté blanc. 

Le débat sur sa reconnaissance n’est pas nouveau, comme en témoignent les multiples propositions de loi déposées au fil des décennies au Parlement. Pour ses partisans, le vote blanc est souvent considéré comme la manifestation d’un malaise démocratique et l’expression d’une désaffection d’une partie de l’électorat à l’égard de l’offre politique qui lui est proposée. Il remet en cause un mode d’expression unilatéral, des candidats vers les électeurs : « nous vous proposons ; vous acceptez ». La reconnaissance du vote blanc permet l’instauration d’une relation bilatérale où l’électeur peut aussi s’adresser aux candidats en leur signifiant qu’aucun d’eux ne le convainc, que leurs différences ne sont pas assez marquées ou que leurs propositions manquent de clarté ou d’innovations. Le vote blanc se pose ainsi comme une réponse aux abstentionnistes qui, par rejet d’une offre électorale jugée défaillante, ont fait le choix de ne pas participer plutôt que de cautionner un candidat par défaut. Il incarne à la fois une prise de conscience mais aussi une forme d’exigence citoyenne en refusant la tradition du ‘’moins pire’’ et du vote par dépit. 

Le vote blanc apporte également une clarification des résultats électoraux. En cristallisant les messages d’opposition, il offre une lecture plus précise du réel niveau d’adhésion pour chacun des candidats en lice. Les citoyens doivent en effet avoir la possibilité d’exprimer leur opinion par adhésion autour d’une personnalité ou d’un projet et non uniquement par élimination successive de tous les autres, ce qui est malheureusement devenu la règle. Or, contraindre les électeurs souhaitant manifester une insatisfaction à se réfugier, faute de mieux, dans l’abstention ou le vote sanction constitue un véritable déni de démocratie. Le vote blanc propose une alternative efficace car il n’est ni une erreur ni un silence complice. Il permet de constater que l’offre politique ne correspond pas aux attentes des électeurs et devient l’expression d’un désaccord constructif, donc une opinion à part entière. 

Depuis la loi du 21 février 2014, le vote blanc est décompté séparément du vote nul sans être intégré au calcul des résultats : « Les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés au procès-verbal. Ils n’entrent pas en compte pour la détermination des suffrages exprimés ». Ainsi, au moment du dépouillement, l’électeur qui a choisi d’exprimer son opposition en votant blanc disparaît purement et simplement des résultats. De nombreux politiciens assimilent ce vote à de l’indécision ou un manque d’intérêt. C’est faux. Voter blanc est un choix assumé, un acte délibéré et mûrement réfléchi, défendu par de nombreuses associations particulièrement actives depuis plus de 20 ans. Cette demande est également soutenue par la grande majorité des Français. Les chiffres du dernier sondage Elabe réalisé en dehors de tout contexte électoral viennent confirmer ceux obtenus par l’IFOP au cours de la campagne de 2017. 85% des Français déclarent y être favorables et plus de 300.000 signatures pour la pétition en faveur du vote blanc ont été enregistrées sur change.org. L’attente des Français est indiscutable. 

Pour ses opposants, l’intégration des bulletins blancs parmi les suffrages exprimés se heurterait à un obstacle constitutionnel. L’article 7 de la Constitution prévoit en effet que « le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés ». Or, la prise en compte du vote blanc pourrait conduire à la situation qu’aucun n’obtienne la majorité absolue au second tour. Cet argument – le seul véritable – explique la frilosité du législateur sur la question de sa reconnaissance. Le risque d’instrumentalisation du vote blanc au second tour par les perdants du premier (qui verraient là une opportunité inespérée de rejouer le match) ne peut en effet être ignoré. En 2017 par exemple, la somme des résultats des perdants du premier tour était supérieure au score cumulé des deux finalistes.

Si le risque existe de voir un outil de mesure neutre se transformer en arme militante au second tour, rien n’interdit sa mise en oeuvre dès le premier tour du scrutin. Cette parade aurait l’avantage de créer un barrage aux votes contestataires du premier tour sans empêcher le bon déroulement d’un second avec des candidats qui seraient soutenus par une véritable adhésion à leur projet. Il éviterait en outre de condamner l’électeur à devoir choisir indéfiniment au second tour entre le candidat du Rassemblement National, quel qu’il(elle) soit, et le survivant du premier tour. 

La démocratie implique une liberté d’expression qui elle-même sous-entend un droit au désaccord. Vaincre l’abstention passe donc par la possibilité d’exprimer librement ce désaccord électoral sans avoir à abandonner sa citoyenneté. Le vote blanc représente à la fois la manifestation d’une insatisfaction raisonnable et la possibilité de sortir d’un choix étriqué, imposé. Il ne rejette pas l’Institution, il en exige de la qualité. Il s’impose comme une solution efficace à une abstention majoritaire mais stérile, dont le message reste porteur d’intentions diverses et souvent contradictoires. 

Il refuse ainsi d’entretenir la tradition républicaine du ‘’voter pour le moins pire’’ et ouvre la voie vers un nouveau concept démocratique, celui du citoyen exigeant. 

 

Stéphane GUYOT
Président du Parti du Vote Blanc

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