L’histoire qui va suivre pourrait être une histoire vraie, qui pourrait se dérouler en France et, ce qui est exactement la même chose, en Europe. En d’autres temps, nous aurions choisi pour théâtre le royaume d’UBU, mais la place était déjà prise. Nous avons donc conservé le théâtre français pour la narrer, par patriotisme.
Cependant, toute ressemblance avec des personnes ou des événements existants ou ayant existé, etc.
Dans cette affaire (ou plutôt ces affaires), une haute juridiction administrative nommée ici le Conseil d’Etat, sollicitée par un groupe affublé du nom de CVB, joue le mauvais rôle. Nous ne pouvons cependant pas lui en vouloir, cette institution n’y est pour rien. Alors, ne l’accablons pas. Le coupable est ailleurs, et ce sera à vous, lecteur, de le découvrir.
Pour sa part, le Conseil d’État (le vrai), rappelons le, ne vote pas les lois mais les juge quand même un peu ; il n’est que rarement sollicité à bon escient par les citoyens mais toujours par la haute administration et par les élus, qu’il connaît bien ; il fourmille de domaines de compétences : il est à la fois conseiller du gouvernement et du parlement et il doit juger les actes des administrations commis contre les citoyens, cruel dilemme dira-t-on ; ses 300 juges ne sont pas de trop, avec un maître des requêtes sur quatre et un conseiller sur trois nommés par le gouvernement (faible pourcentage, nous dit-on), et ses auditeurs sont pour beaucoup issus de l’ENA, gage de clairvoyance ; il est présidé par son vice-président (c’est ainsi !) qui est nommé par décret du Président de la République, car son président est le(a) Premier(e) ministre ou le(a) ministre de la Justice, ès qualités ; il peut examiner la conformité à la loi d’un décret qu’il a lui-même pris (!) mais la collégialité de ses procédures n’ayant d’égale que la rigueur de sa déontologie il offre aux citoyens une garantie totale d’indépendance ; en effet, un pourcentage significatif, est-il dit (mais ce chiffre reste à découvrir), de ses dix mille décisions annuelles reste favorable aux citoyens.
Les grincheux feront cependant remarquer qu’il y a peu d’années, un président sortant n’a pas dérogé à la pratique instaurée par ses prédécesseurs et qui restera suivie : il a nommé entre les deux tours de l’élection deux anciens membres de son cabinet au Conseil d’État. Aucun des deux ne possédait semble-t-il ne serait-ce qu’un diplôme de droit ; gageons que cette lacune fut promptement comblée. Nos voisins s’en étonnent, mais seules les mauvaises langues s’interrogent : s’il fallait prouver la réalité de l’indépendance des juges des juridictions administratives, cette preuve résiderait, nous disait déjà en 2007 un Conseiller d’État honoraire, «dans l’extension continue du contrôle juridictionnel exercé sur toutes les décisions administratives et dans l’approfondissement de celui-ci. Plusieurs illustrations peuvent en être données : le droit des étrangers, celui de la responsabilité administrative, pour faute et sans faute, l’affirmation et l’application de principes généraux du droit ou le contrôle du pouvoir discrétionnaire de l’administration». Nous voici donc rassurés ; alors, à notre tour, nous citoyens souverains, nous en jugerons.
Notez que nous ne commentons absolument pas ici des décisions de justice, ce serait illégal. Les annotations ne font que préciser le contexte pour permettre aux historiens, dans quelques centaines d’années, de mieux comprendre le déroulé de faits qui, bien que de pur roman, peuvent avoir ici ou là quelques lointains rapports avec une page de notre histoire.
L’histoire, relatée par les CVB, commence donc en ce début de l’année 2014, alors que la France et l’Europe s’apprêtent à vivre deux périodes électorales dans un contexte politique que nous pourrions qualifié de mitigé.
Une drôle de loi sur la reconnaissance du vote blanc.
Le 12 février 2014, subrepticement, le Parlement remet à l’AFP, par la voix de son rapporteur, M François Z, un communiqué titré : “Élections. Le vote blanc adopté définitivement par le Parlement” et qui précise “qu’à partir du 1er avril, … chaque électeur pourra voter blanc…” et le rapporteur clame avec une fierté mesurée que c’est “une avancée dans la transparence de la vie démocratique qui répond aux attentes de nombreux Français“. À cette nouvelle, le peuple de France hurle sa joie ; toutes formations politiques confondues, on lève son verre dans les deux assemblées à ce formidable progrès de l’esprit humain dont Condorcet rêvait déjà, et on se félicite après avoir noté, certes un peu tard, que “l’absence de reconnaissance de la voix de l’électeur qui se déplace pour accomplir son devoir civique était choquante en démocratie” et que “le vote blanc doit être vu comme une attente non satisfaite qui peut traduire une forme d’espérance.” C’est beau, et nous les CVB qui avions lutté si longtemps pour que cette espérance devienne une réalité, nous retenons difficilement nos larmes. Cependant, quelque chose nous semble clocher quelque part, mais nous ressaisissons vite : peut-être avons nous été interpellés, à tort, par cette date du 1er avril… Ne soyons pas paranoïaques : la loi en question doit être publiée quelques jours plus tard.
– Le 21 février 2014, le ciel nous tombe sur la tête ; en ce jour fatal, à marquer d’une pierre noire, la loi dite “visant à reconnaître le vote blanc” est publiée au JO de la République. Elle est formelle : les bulletins blancs “n’entrent pas en compte pour la détermination des suffrages exprimés” ! Le coup est dur, d’autant plus que les libations des citoyens réjouis par la nouvelle tombant du ciel (du Parlement) neuf jours plus tôt ne sont pas achevées et que le peuple souverain, faisant confiance à son journal et qui n’est pas abonné au JO fourbit déjà ses armes pour les prochaines élections : municipales des 23 et 30 mars puis européennes du 25 mai. On va voir ce qu’on va voir, à nous les mairies, et à nous l’Europe. Il reste aux CVB trois mois pour réagir : la décision est prise, nous allons présenter des listes aux européennes, Stéphane s’y attelle, et nous engagerons un recours contre cette loi scélérate, c’est Paquito qui s’y colle.
– La requête est donc transmise le 9 mai 2014 par les CVB (Sud-Ouest) contre la loi du 21 février 2014 et l’article 65 du Code électoral qu’elle modifie, loi qui nous paraissait manifestement inconstitutionnelle et mensongère dans son intitulé sur (ou plutôt contre) le vote blanc. Ces textes, qui rejettent et censurent le vote blanc comme suffrage exprimé, contreviennent manifestement à l’article 52 de la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, qui interdit aux États toute restriction injustifiée des droits. Pourtant, la proposition de loi initiale prévoyait bien la possibilité de refuser une offre politique inacceptable grâce au vote blanc reconnu, mais ce fut sans doute une manœuvre des élus législateurs de leurs propres règles qui leur permit ensuite de rouler plus facilement les citoyens dans la farine.
– Le 30 mai 2014, le Conseil d’Etat rejette la requête “comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître” (nous notons que le CE n’a mis que 21 jours pour découvrir son incompétence, c’est bien). Ceci dit, il fallait qu’il le dise pour qu’il soit possible de passer à l’étape suivante, et on peut remercier le CE pour ce travail. Nous notons que le CE a demandé par le même courrier au ministère de l’intérieur de faire exécuter cette décision, c’est-à-dire dans ce cas de ne rien faire, ce que le ministère à fait sur le champ! Encore bravo. Il ne reste donc plus aux citoyens qu’à se tourner vers le Conseil Constitutionnel pour faire respecter leurs droits, banco.
– Le 6 juin 2014, les CVB (SO) demandent donc au Conseil d’Etat, comme la loi l’exige, de saisir le Conseil Constitutionnel pour “question prioritaire de constitutionnalité” contre la loi anti-vote blanc.
– Le 26 juin 2014 la décision du CE tombe, fatale : il ordonne (c’est le terme) qu'”il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil Constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité“. En résumé le Conseil d’Etat s’ordonne à lui même, ce jour là, de ne rien faire, ce qu’il fit promptement, tout en demandant toujours au ministère de l’intérieur de faire exécuter cet ordre de ne rien faire, ce qu’il fit aussi, avec la même diligence.
Chacun a pu noter cependant que, cette fois, il n’a fallu au Conseil d’Etat que 20 jours au lieu de 21 pour décider de ne rien faire : la productivité des juges administratifs s’est donc améliorée de 1/20e d’un mois sur l’autre et nous sommes fiers d’eux ; il est heureux que chacun donne sa part en ces temps difficiles.
– L’affaire du recours contre la loi anti-vote blanc est donc (momentanément) close. Mais un autre combat se prépare.
– Pendant ce temps, les citoyens du vote blanc et les autres battent la campagne. Le 25 mai 2014 les élections européennes ont lieu. Malgré le refus par les grands médias nationaux de donner la parole aux CVB hors campagne officielle, ce qui est contraire à la loi mais que le CSA laisse faire, par discrétion, malgré une campagne populiste qui décourage les uns et draine les autres vers les extrêmes, nous obtenons un succès d’estime en étant parmi les premières des listes sans parti, mais avec de vraies convictions et des objectifs sérieux, nous.
– Nous constatons cependant avec effroi, dans les jours qui précèdent et lors des opérations dans les bureaux de vote, tout comme bien d’autres “petites” formations, que ce scrutin est curieusement organisé : des camions de bulletins s’égarent, des bureaux de vote semblent démunis ; nous tentons de sauver les meubles ainsi que nos bulletins égarés ou refusés, ou collés sur les tables. Mais que faire pour contrôler, dans les 36 681 communes et encore bien plus de bureaux de vote, la bonne exécution de nos demandes de mise en place et de présentation de nos bulletins ! Mortifiés, commençant à douter que nous sommes bien en démocratie, mais restant confiants en notre justice, nous décidons alors de porter un recours contre ces élections bizarres devant le CEt, seule juridiction compétente. Comme il ne faut jamais laisser un cheval, fut-il déjà vieux, devant un échec, on décide que ce sera encore Paquito qui s’y collera, pour sa circonscription Sud-ouest…
– Le 28 mai 204, date légale limite pour l’État, les résultats sont dits “publiés”. Ce terme est mis entre guillemets car, en réalité, les mairies et le site du ministère ne les afficheront que le 30 mai en fin de matinée, le jeudi 29 étant le jour de l’Ascension (attention, il ne s’agit pas de celle de la démocratie). Mais pour les CVB, les délais courent déjà et il ne reste que 9 jours, délai que la loi nous accorde, pour interroger le CE. Bon courage! Tout va alors aller très vite (au sens administratif français, il s’entend).
– Le 2 juin 2014 (ouf) le recours des CVB Sud-Ouest est transmis au CE pour requérir l’annulation des élections en raison des graves dysfonctionnements constatés.
– Le 25 août 2014, fichtre, le Ministère de l’intérieur se défend comme un beau diable. Le CE fait suivre cette défense au CVB. La sous-direction du conseil juridique et du contentieux de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du secrétariat général du ministère de l’intérieur (sic) aligne ses arguments, certes un peu à côté de la plaque et alambiqués, mais il ne faut quand même pas se laisser faire, scrogneugneu. Nous répliquerons. Par chaarité, nous ne citerons ici que deux de ces arguments.
Sur les irrégularités lors de la livraison des bulletins, le ministère nous dit qu’elles “ne sont pas de nature à vicier les résultats des élections, les retards dans la distribution des plis électoraux présentant un caractère purement accidentel et qui ont affecté l’ensemble des listes“! Dommage, mais ce n’est pas des plis dont il s’agissait, mais bien des bulletins des CVB dans les bureaux de vote. Mais nous compatissons, car (c’est le ministère de l’intérieur qui le dit, c’est donc vrai), il y a eu beaucoup d’accidents ce jour là ! Nous présentons nos condoléances aux familles des victimes.
Sur la communication de la loi anti-vote blanc par le Parlement, le ministère s’insurge : “On ne peut donc raisonnablement considérer que la communication faite sur le vote blanc était de nature à tromper les électeurs“. Il est heureux que le ministère est appuyé son argument du terme “raisonnablement”, cette précaution de langage nous rassure : la raison l’emporte. Mais il nous faut répondre, sans délai.
Curieusement, à la même date et avec des arguments similaires, Mme Virgine R, candidate et élu du parti uni des partageux, par la voix de son avocat, se défend de même. De plus il est demandé, outre l’abandon des recours, une rançon de 400 euros : c’est mesquin !
– Le 4 septembre 2014 les CVB (SO) répliquent donc à la défense du ministère de l’intérieur et à celle de Virginie. Les curieux pourront, comme pour tous les autres textes, nous demander ces répliques, nous les transmettrons : la justice est une fille publique de la démocratie, qui n’a rien à cacher.
– Le 15 septembre 2014, le CE fait connaître aux parties son intention de tenir séance publique le le 25 septembre, dès potron-minet, afin que le rapporteur public expose à son tour les arguments propres à rétablir l’honneur des hautes et basses administrations, honteusement attaquées.
– Mais le 19 septembre, comme dans toutes les bonnes histoires, coup de théâtre : nous recevons du CE une nouvelle défense : celle de Michèle A-M, candidate élue de l’autre versant de l’hémicycle ! Un avocat plus prolixe, à sa solde, étale son savoir en matière de jurisprudence, mais son argumentaire est tout aussi étranger à l’objet du recours que les précédents. Cependant la rançon requise s’élève ici à 2400 euros; c’est plus sérieux, nous sommes bien dans un autre monde.
– Le 22 septembre, notre réponse est transmise, qui démonte encore, une à une, les arguties du baveux.
– C’est alors que le CE, à son tour, nous gratifie d’une nouvelle surprise:il annule sa séance prévue le 25 septembre pour la repousser au 8 octobre après la sieste. Les CVB réagissent aussitôt : ils seront présents, et c’est Domi qui recueille les paroles éclairées du rapporteur public. Nous ne sommes pas surpris outre mesure de constater qu’elles accablent les CVB, ces pelés, ces galeux, d’où venait tout le mal.
– Alors, exploitant les ultimes possibilités que notre justice offre aux plus faibles, nous répondons le 10 octobre à ces attaques, avec tout de même le sentiment que les victimes sont dans le camp de l’administration qui a, selon elle, tout mis en œuvre pour offrir aux citoyens candidats, faute d’être récompensés de leurs efforts en faveur d’une démocratie vacillante, le plaisir de coller légalement quelques affiches. Alors, pourquoi chercher la petite bête pour à peine quelques centaines de milliers de bulletins « égarés », pour quelques minutes d’antenne qui n’auraient rien ajouté, ou pour une simple loi qui, grâce aux enveloppes vides qu’elle autorise maintenant, permet aux électeurs de laisser leurs élus jouer tranquilles.
Bientôt, vers la mi novembre, sous les frimas, tombera le verdict. Il ne fait pas de doute qu’il honorera notre République.